jeudi 21 avril 2011

Protection des populations civiles

Le concept de dommage collatéral désigne les pertes humaines lors de conflits militaires. Native du temps de la Guerre du Vietnam, cette expression fut grandement utilisée par les États-Unis pour discuter des répercussions sur les vies humaines en Afghanistan suivant les attentats du 11 septembre 2001. Cette appélation tend à diminuer l'impact des effets pervers de la guerre dans l'imaginaire collectif de la population. À ce concept plus ou moins transparent, l'ONU oppose la "protection des civils dans les zones de conflits". Lors du sommet des chefs d'État de l'ONU en 2005, la ''resposabilité de protéger'' fut ajoutée aux principes des Nations-Unis. C'est ainsi que des moyens ont été mis en place officiellement afin d'assurer la protection des civils en cas de multiples conflits guerriers. Il s'emblerait que cette problématique puisse redonner un visage aux milliers de victimes qui furent oubliés derrière le concept de dommage collatéral qui les dénaturait. L'article du Dr. Lucien MANOKOU qui suit discute de la protection des civiles et de la responsabilité des casques bleus. Il dresse un portrait historique qui permet de mieux saisir la complexe réalité de la protection des vies humaines.
Bonne lecture!

La problématique de la protection des civils dans les zones de conflits
Une analyse des raisons aux exactions contre les civils, des instruments de droit international visant à les empêcher et des obstacles à leur application


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Photo : Reuters
Depuis toujours, les principales victimes des conflits armés sont les populations civiles. Dans la plupart des conflits contemporains, les protagonistes bravent régulièrement les diverses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, les rapports du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies et autres études [1] qui recommandent explicitement aux belligérants d’épargner les personnes hors de combat. Ils violent ainsi les Conventions de Genève (1949) et leurs Protocoles additionnels (1977 et 2005) et tous les traités internationaux y relatifs. Aujourd’hui, la « Responsabilité de protéger », acceptée lors du sommet des chefs d’Etat de l’ONU en 2005, fait obligation aux Etats d’assurer la protection des populations contre les génocides, les purifications ethniques, les massacres ou les mauvais traitements. Sinon, c’est la communauté internationale qui se doit de les protéger.

Le Bureau des Nations unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) définit la protection des civils lors d’un conflit armé comme « un concept générique des politiques humanitaires regroupant une série d’éléments de protection tirés d’une série de domaines, dont le droit humanitaire international et les droits de l’homme, les secteurs militaires et de la sécurité, et l’aide humanitaire ». Ces éléments de protection intègrent désormais les missions assignées aux opérations de paix. Mais de nombreuses personnes subissent toujours des exactions dans presque tous les foyers de conflits. Cela est-il lié à la négligence des belligérants vis-à-vis des conventions internationales ? Les acteurs illégaux tiennent-ils à entretenir cette situation pour mener leurs basses besognes ? Ou encore les instances internationales ne sont-elles pas assez sévères pour punir les auteurs des exactions ? Cette analyse se propose d’abord d’examiner les mobiles explicatifs de ces exactions. Ensuite, nous faisons un historique de la législation internationale tout en analysant les textes en vigueur sur la protection des civils et les décisions prises, avant d’énoncer en dernier ressort quelques perspectives de résolution de ce problème.

Des populations civiles en permanentes menaces dans les zones de conflits

Depuis le 19e siècle, de nombreuses conventions internationales recommandent de protéger les populations civiles. Mais fort est de constater que dans les opérations de paix contemporaines, les personnes sont toujours massacrées, mutilées, violées ou privées d’aide humanitaire par divers acteurs qui agissent au gré de leurs intérêts et au mépris des règles conventionnelles.

Parmi les agresseurs des populations civiles, il y a d’abord les combattants. Qu’il s’agisse des rebelles, des milices armées ou des armées régulières, ils terrorisent chacun à leur tour les populations civiles pour les amener à les soutenir inconditionnellement. Ainsi, ils bafouent outrageusement le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève qui interdit, dans son article 13, « des actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile ».

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Photo : www.congomagazine.com

Ensuite, s’ajoutent les acteurs illégaux [2] et particulièrement les bandes armées et le crime organisé qui sèment aussi la terreur au sein des populations en s’accaparant essentiellement des biens matériels ou en se livrant à des trafics divers. Dans cette catégorie, il est difficile de distinguer tous ceux qui s’impliquent dans le conflit à savoir les belligérants, les trafiquants, les mercenaires et même les populations.

Les forces armées nationales attaquent délibérément des zones densément peuplées en pourchassant les rebelles. Ces massacres prennent des proportions alarmantes avec l’utilisation de certaines armes (bombardements des villes de Nagasaki et Hiroshima au Japon en 1945 ; déversement par les forces américaines de produits défoliants au Vietnam entre 1962 et 1971 ; bombardements par les forces marocaines des villages sahraouis au Sahara occidental en 1975, etc). De plus, les populations civiles paient un lourd tribut chaque jour dans les conflits israélo-palestinien, irakien, congolais, soudanais, colombien et bien d’autres, sans pour autant oublier les atrocités commises au Rwanda et dans les Balkans dans les années 90.

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Photo : www.rue89.com

Censés protéger les civils, les Casques bleus sont aussi auteurs des délits comme les viols, les abus sexuels ou les trafics divers, malgré les instructions édictées par le Secrétariat général dans ce sens. Ils sont secondés dans cette tâche par les rebelles infiltrés qui sévissent surtout dans les camps de réfugiés installés à proximité des frontières (cas des réfugiés du Darfour au Tchad ou bien les réfugiés rwandais à l’est du Zaïre entre 1994 et 1996). Ces groupes armés favorisent des intrusions militaires et des infiltrations transfrontalières, exposant ainsi les populations aux attaques. Leurs agressions armées contre les agents de sécurité et le personnel humanitaire instaurent un climat d’insécurité tel que les agences humanitaires sont quelquefois obligées de mettre temporairement ou définitivement un terme à leurs activités.

Enfin, au niveau international, les premiers responsables sont les membres du Conseil de sécurité qui ont le devoir de maintenir la paix. Mais ils n’interviennent qu’en fonction de leurs intérêts particuliers. En conséquence, les résolutions adoptées ne conduisent pas souvent au règlement satisfaisant des conflits. Il en est de même des pays contributeurs qui n’honorent que partiellement leurs engagements quant à l’envoi des troupes censées intervenir pour prévenir ou mettre fin à des massacres, comme ce fut le cas au Rwanda en 1994 et à Srebrenica en Bosnie-Herzégovine en 1995.

En Afrique, l’un des continents le plus crisogène, les membres de l’Union africaine, et plus particulièrement ceux du Conseil de paix et de sécurité (CPS), n’assument pas convenablement leurs responsabilités. Ils ne soutiennent pas avec détermination les initiatives de paix, ne mettent pas à disposition tous les moyens financiers, matériels et humains pour la résolution des conflits et ne sanctionnent pas sévèrement les nombreux auteurs des crimes les plus odieux. En effet, leurs « auteurs sont rarement traduits devant la justice tandis que leurs victimes se voient souvent privées de tout recours efficace » [3].

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Photo : www.pakistans.com

Les violations incriminées touchent les populations les plus vulnérables, à savoir femmes, enfants, personnes âgées, handicapés, réfugiés et déplacés, mais également les personnels humanitaire et onusien, les journalistes et même les contingents des opérations de paix. Les atteintes contre les personnes portent sur les crimes suivants : crimes de guerre, génocide, crime contre l’humanité et violations flagrantes du droit international humanitaire. On relève les délits tels que les meurtres à grande échelle, les mutilations physiques, la torture, la traite des êtres humains, les violences sexuelles [4] (viols, pédophilie, pornographie), l’enrôlement forcé des enfants [5] ou même des adultes, l’attaque intentionnelle de civils ou de biens protégés, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, l’élimination de personnes ou le détachement d’enfants d’un groupe, la déportation, la détention illégale, la prise d’otages, l’interruption volontaire des approvisionnements en vivres afin d’affamer les populations ou la restriction de mobilité des personnels humanitaires auprès des civils nécessiteux, le refoulement des personnes se refugiant auprès des opérations de paix, les déplacements forcés, l’utilisation des civils innocents comme boucliers humains et autres préjudices. Tous ces délits sont perpétrés en dépit d’une législation internationale existante.

Les instruments internationaux pour la protection des civils

C’est au 19e siècle que se sont développées les lois de la guerre avec la première Convention de Genève de 1864 et les deux conférences de la Paix de La Haye de 1899 et 1907 qui examinent le sort des populations civiles en adoptant les « lois de la guerre » pour tous les belligérants, en interdisant les « attaques et bombardements de villes, villages, bâtiments ou habitations non défendus » en distinguant les forces armées des populations civiles et les combattants de ceux qui doivent en être protégés. Dans les années 1920, les conférences de la Croix-Rouge introduisent d’autres règles pour la protection des civils. Depuis lors, cette législation s’est renforcée.

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Après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, en 1945 l’ONU se donne pour objectif de maintenir la paix et la sécurité internationales, mais également de « réaliser la coopération internationale…en développant et en encourageant le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion » (art. 1 et 55 de la Charte). Ces droits et libertés fondamentales sont explicités dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies.

Au cours de 1948, l’ONU lance les opérations de maintien de la paix dans lesquelles les Casques bleus s’interposent entre les belligérants pour limiter le nombre de victimes, surtout parmi les civils. Mais n’étant pas armés, c’est difficilement que les militaires onusiens ont pu se défendre et sécuriser également les civils (surtout les personnes vulnérables), le personnel humanitaire et onusien et les journalistes.

En 1949, les Conventions de Genève du 12 août 1949 consacrent le respect de la personne humaine pendant les conflits armés et recommandent que les personnes ne participant pas directement aux hostilités soient épargnées des affres de la guerre. Elles interdisent notamment les traitements inhumains, les prises d’otages, les exterminations, la torture, les exécutions sommaires, les déportations, les détentions illégales, le pillage et la destruction injustifiée de biens privés. En 1977, sont adoptés les deux premiers Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949. Le Protocole additionnel I introduit le principe essentiel de distinction entre civils et combattants, et entre biens à caractère civil et objectifs militaires. Les attaques contre la population et les biens à caractère civil sont interdites.

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La FORPRONU : une tentative de protection de la population civile (photo : Université de Lyon)

Avec les violations des droits de l’homme perpétrées dans de nombreux conflits au début des années 1990, l’ONU met en place la première Force de protection des Nations unies en ex-Yougoslavie (FORPRONU, février 1992–mars 1995). Mais elle n’a pas donné les résultats escomptés à long terme, car c’est dans cette région des Balkans que s’est produit le massacre de Srebrenica en juillet 1995. Ensuite, en mars 1999, c’est l’OTAN qui intervient en ex-Yougoslavie (sans l’autorisation du Conseil de sécurité) pour protéger les Albanais contre les expulsions dont ils étaient victimes dans leur propre pays par les Serbes et pour prévenir les risques d’épuration ethnique. Afin de juger les coupables des crimes susmentionnés, le Conseil de sécurité crée deux tribunaux ad hoc, à savoir le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 1993 et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1994 et une juridiction mixte qui est le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) en juillet 2002. Entre-temps, le 17 juillet 1998, est créée la Cour pénale internationale (CPI) qui « exerce sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale ». Ayant son siège à La Haye, la CPI entre officiellement en fonction le1er juillet 2002.

Le 12 août 1999, à l’occasion du 50e anniversaire des Conventions de Genève, le Secrétaire général de l’ONU et 14 autres personnalités lancent l’″Appel solennel de Genève" qui « exige (essentiellement) de tous ceux qui sont engagés dans des conflits armés et de tous ceux qui peuvent influer sur leur cours d’assurer le respect des principes élémentaires d’humanité et des règles du droit international humanitaire » et « d’épargner aux civils les affres de la guerre ».

En septembre 1999, le Secrétaire général soumet au Conseil de sécurité son premier rapport sur la question en recommandant d’améliorer « la protection physique et juridique des civils dans les situations de conflit armé ». Cela passe par la ratification et l’application des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme et la poursuite de tous les auteurs des crimes devant les tribunaux nationaux ou internationaux. Le 21 août 2000, le Rapport Brahimi préconise des opérations de paix robustes en demandant « des règles d’engagement fermes afin que les soldats de la paix des Nations Unies puissent être en mesure de se défendre et de défendre d’autres composantes de la mission et l’exécution du mandat de celle-ci contre ceux qui reviennent sur les engagements qu’ils ont pris en vertu d’un accord de paix ou qui, de toute autre façon, cherchent à y porter atteinte par la violence ».

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En 1999, l’OTAN s’investit à son tour en ex-Yougoslavie (photo : RFI)

Dans la Déclaration du millénaire de septembre 2000, le Secrétaire général souligne la nécessité d’« élargir et de renforcer la protection des civils dans les situations d’urgence complexes, conformément au droit international humanitaire ». Et depuis la fin des années 90, le Conseil de sécurité fait de la protection des civils l’une des tâches assignée aux opérations de paix, sans compter les résolutions spécifiques sur : la « Protection des civils en période de conflit armé », la « Protection du personnel des Nations unies, du personnel associé et du personnel humanitaire dans les zones de conflit », « Les enfants et les conflits armés » et « Les femmes, la paix et la sécurité ». En 2001, les conclusions de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) précisent qu’une intervention internationale pour la protection des droits de la personne dans un pays donné ne remet pas en cause sa souveraineté. Le 15 mars 2002, le Conseil de sécurité adopte un Aide-mémoire de treize points pour faciliter l’examen de cette question. Toujours en 2002, est adopté l’Agenda pour la protection qui vise, par une série d’activités, à renforcer la protection internationale des réfugiés et d’améliorer la mise en oeuvre de la Convention de 1951 et son Protocole de 1967.

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Photo : www.7sur7.be

En 2004, le Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau rappelle encore à tous les combattants de respecter les dispositions des Conventions de Genève et aux Etats membres de l’ONU de ratifier tous les traités concernant la protection des civils, dont la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention relative au statut des réfugiés, la Convention relative au droits de l’enfant [6] et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. En 2005, la ″Responsabilité de protéger″ est acceptée au sommet des chefs d’Etat de l’ONU et, en 2006, dans la résolution 1674 sur la protection des civils, elle fait l’objet d’une mention spécifique en incluant désormais dans les mandats des opérations des Nations unies les dispositions suivantes : protéger les civils en cas de menace imminente d’atteinte à leur l’intégrité physique, prévenir les violences sexuelles et y répondre, faciliter l’assistance humanitaire, garantir la sécurité dans les camps de réfugiés et créer les conditions de rapatriement volontaire et sécurisé.

Dans son sixième rapport sur la protection des civils (octobre 2007), le Secrétaire général reconnait les progrès réalisés sur l’application de la résolution 1674, notamment le rôle des opérations de paix, des organisations régionales et la lutte contre l’impunité par l’action des juridictions créées à cet effet. Mais ces évolutions restent limitées car les civils continuent de payer un lourd tribut dans les conflits contemporains. C’est pourquoi l’ONU a créé un groupe de travail sur cette question en mars 2008.

La protection des civils au cœur des préoccupations onusiennes

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Photo : ONU

Les conventions, les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité ainsi que les tribunaux spéciaux susmentionnés démontrent le regain d’intérêt des Nations unies sur cette question. Il se manifeste par les missions assignées désormais aux opérations de paix, les multiples initiatives et les nombreux débats spéciaux [7] autour de ce thème tant au Conseil de sécurité, où les membres soutiennent la protection des civils dans les mandats des opérations de maintien de la paix, que dans d’autres forums.

En effet, depuis le premier rapport du Secrétaire général sur la question en septembre 1999, les opérations sous chapitre VII sont nombreuses. Les forces de maintien de la paix ont un rôle plus actif dans la protection des personnes vulnérables, dans l’acheminement de l’aide humanitaire aux plus nécessiteux, dans le déminage afin d’épargner les populations des dangers de ces engins, dans la facilitation de circulation des journalistes ou celui des membres de la mission pour s’acquitter de son mandat. Le challenge des Etats membres de l’ONU réside donc dans leur capacité à assurer à ces opérations les conditions de leur réussite qui se résument essentiellement au soutien politique et à la mise à disposition des moyens nécessaires pour leurs missions de protection des civils dans les conflits armés. C’est cette détermination qui conduira, sinon à une éradication de ce phénomène, du moins à sa diminution.

S’agissant des conventions et traités internationaux, ils introduisent le principe de compétence universelle qui veut que chaque Etat adhérent « ait l’obligation de poursuivre les personnes présumées avoir commis ou ordonné de commettre l’une ou l’autre des infractions graves et de les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité, ou... les remettre pour jugement à une autre Partie Contractante intéressée à la poursuite ». Malheureusement, les Etats ne l’appliquent pas [8] ou le font soit sous des conditions restrictives, soit contre cette législation internationale. Les bombardements disproportionnés en Afghanistan ou les détentions dans la base militaire de Guantánamo enfreignent les Conventions III et IV de Genève de 1949.

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Photo : ONU

En matière de justice internationale, l’ONU lutte contre l’impunité par l’entremise de la CPI et des tribunaux internationaux temporaires (Rwanda, Ex-Yougoslavie et Sierra Leone). Des mandats d’arrêt sont émis, des procès sont menés et des inculpations sont prononcées. Toutefois, ne disposant pas d’une police pour faire appliquer ses ordonnances et ne pouvant s’appuyer que sur la bonne volonté des dirigeants de chaque pays, sa marge de manœuvre reste réduite. On constate également que la majorité des affaires dont la cour est saisie ne concerne que l’Afrique [9] En somme, il est reproché à la CPI de mener une justice à deux vitesses et d’appliquer une « justice universelle » à l’occidentale. Il faut que la communauté des Etats manifeste une volonté politique qui se traduise par le respect des traités internationaux et une sincère coopération avec les juridictions créées à cet effet. Il est inadmissible qu’un Etat, aussi puissant soit-il, puisse fouler au pied une juridiction comme la CPI en refusant de livrer ses ressortissants coupables des pires crimes de guerre.

Toutefois, il est nécessaire de sensibiliser les citoyens de chaque pays sur le respect des valeurs humaines. La vie n’a pas de prix et elle ne saurait être soumise aux lubies des belligérants. C’est pourquoi rien ne justifie l’atteinte à l’intégrité physique et encore moins l’élimination arbitraire d’un tiers, même en temps de guerre où des règles établies s’imposent à tous les acteurs. C’est en cultivant ces valeurs que l’homme sera respecté dans toute sa dimension et que des actes de barbarie feront place à plus d’humanisme. Car les exactions que subissent les populations civiles sont des faits sociaux reconnus à l’échelle de la planète et dont la résolution doit dépasser tous les clivages politiques, sociaux, raciaux, religieux et culturels. Car, « la nature humaine et la dignité de la personne transcendent tous les clivages, elles s’imposent de ne pas torturer, affamer, blesser, humilier » [10] . C’est donc une préoccupation de l’humanité toute entière.

Dr. Lucien MANOKOU
Chercheur à l’Institut de Recherche en Sciences humaines (IRSH/CENAREST)
Libreville, Gabon
7 mai 2009

[1] Cf. Rapport du Groupe d’études sur les opérations de paix des Nations unies (août 2000), ″La Responsabilité de protéger. Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats″ (décembre 2001), ″Un monde plus sûr : notre affaire à tous. Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement ″ (décembre 2004). A ces trois rapports, s’ajoute, la Déclaration de Saint-Boniface lors de la Conférence ministérielle de la Francophonie sur la prévention des conflits et la sécurité humaine, Saint-Boniface (Canada), 13-14 mai 2006.

[2] Samuel TANNER dresse une typologie de ces acteurs illégaux présents dans de nombreux conflits en précisant les activités criminelles de chaque groupe, Cf. « Acteurs illégaux », www.operationspaix.netConsulté le 11 février 2009.

[3] Impunité en Afrique et particulièrement le cas Hissène Habré. Résolution législative du parlement européen sur l’impunité en Afrique, en particulier le cas de Hissène Habré, Document du Parlement européen, P6_TA(2006)0101, du 15 mars 2006, p. 1. A ce sujet, on constate que dans toutes les conférences organisées après les conflits, ce sont les bourreaux qui sont présents à la table des discussions et les victimes ne sont que rarement associées.

[4] D’une façon récurrente, on remarque que les soldats des opérations de paix deviennent les bourreaux des personnes qu’ils sont censés protéger : de la Côte d’Ivoire à la République Démocratique du Congo, en passant par Haïti, le Libéria et la Sierra leone, sans oublier le sud-Soudan (Darfour) et surtout le Kosovo, les casques bleus ont été coupables des crimes sexuels. Cf. Bolya Baenga, « Les casques bleus dans… les monologues du vagin », in www.afrik.com/. Consulté le 10 janvier 2008.

[5] A l’issue de la Conférence « Libérons les enfants de la guerre » organisée à Paris en février 2007, on estimait à 250.000 le nombre d’enfants soldats repartis dans douze pays à travers le monde, à savoir : Birmanie, Burundi, Colombie, Côte d’Ivoire, les Philippines, République démocratique du Congo (RDC), Somalie, Soudan, Tchad, Colombie, Népal, Sri Lanka et Ouganda. Cf www.unicef.fr ; voir aussi « Enfants soldats : 58 Etats s’engagent », in www.liberation.fr/actualite/monde Consulté le 25 novembre 2007.

[6] Ces trois conventions sont entrées en vigueur respectivement les 12 janvier 1951, 22 avril 1954 et 2 septembre 1990.

[7] Depuis 2007, le Conseil de sécurité a tenu quatre débats spéciaux sur la question : 22 juin et 20 novembre 2007, 27 mai 2008 et 14 janvier 2009.

[8] Le cas d’Hissène Habré qui a vécu en exil au Sénégal pendant longtemps sans être inquiété ou celui de Mengistu Haïlé-Mariam exilé au Zimbabwe depuis 1991.

[9] Interrogé sur la question, le procureur de la Cour a précisé que le critère de sélection des affaires était purement et simplement leur gravité et l’absence d’un processus judiciaire au niveau national. Or, ces processus n’existent pas au Soudan, en Ouganda et en RDC. Cf. « ONU : la Cour pénale internationale fête ses dix ans », www2.canoe.com/infos/international consulté le 17/07/2008.

[10] SMOUTS (M-C), BATTISTELLA (D.) & VENNESSON (P.), Dictionnaire des relations internationales, Dalloz, Paris, 2003, p 161.


mercredi 20 avril 2011

Peu importe que ce soit des casques bleus, ou des soldats de l’OTAN, à chaque fois qu’il y a des militaires basés dans un pays, il y a une augmentation de l’exploitation sexuelle dans les alentours. On retrouve un nombre beaucoup plus grand de prostituées ; c’est le même scénario dans les camps de déplacés ou de réfugiés. Par exemple, pour les forces de l’OTAN au Kosovo, il y avait la base « Arizona » qui était finalement un vaste bordel à ciel ouvert, qui n’a jamais réellement été dénoncé. Ce qui a beaucoup été dénoncé finalement, c’est quand des actes de violences sexuelles commises par des casques bleus ont été rapportés ; Amnesty International a produit un rapport dès 2002 sur le cas des camps de réfugiés de la Sierra Leone. Ces actes sont particulièrement condamnables principalement car ils sont commis par des représentants de la paix, des humanitaires, qui sont censés protéger les civils contre des violations des droits humains. C'est un problème important à résoudre car une population qui voient des actes de violence sexuelle commis par des casques bleus va perdre sa confiance envers ceux-ci, et leur mission risque de s'en trouver beaucoup plus difficile.

J’ai trouvé cet article très intéressant à ce sujet, sur Afrique Renouveau.

Afrique Renouveau, Vol. 19 #1 (Avril 2005), page 16

Exactions des casques bleus : l'ONU est ferme

Des mesures ont été prises contre les délits sexuels du personnel de maintien de la paix

Par Michael Fleshman

Le sens du devoir dont ont fait preuve neuf soldats de la paix de l’ONU tombés le 25 février sous les balles des rebelles dans l’Est de la République démocratique du Congo est un sombre rappel du prix élevé qu’il faut parfois payer pour la paix. Ce sacrifice contraste cruellement avec le comportement d’une petite minorité de “casques bleus” coupables d’exploitation et de violences sexuelles qui ont porté atteinte à la crédibilité de la mission des Nations Unies au Congo (MONUC). Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a dénoncé ces méfaits qui ont sali la réputation de l’Organisation. Il a adopté pour y mettre fin de nouvelles mesures énergiques, dont un couvre-feu pour les militaires de la tombée de la nuit jusqu’au lever du jour et l’interdiction de tout contact illicite avec la population locale.

Des enquêteurs ont été dépêchés sur place pour donner suite aux allégations d’abus sexuels commis par le personnel de l’ONU, ce qui a entraîné des dizaines d’expulsions et des poursuites pénales par les gouvernements des pays d’origine des auteurs de ces actes. La Vice-Secrétaire générale, Louise Fréchette, s’est rendue en Afrique de l’Ouest auprès des missions de maintien de la paix pour souligner la politique de “tolérance zéro” de l’Organisation envers les agressions sexuelles, la maltraitance des enfants et la prostitution.


Soldats de la paix de la MONUC à Bunia (Congo oriental) : ils ont un devoir de protection envers les civils.

Photo: © AP Photo / Sayyid Azim

Malgré ces initiatives, les informations parues dans la presse indiquent que des comportements répréhensibles se poursuivent au sein de missions de maintien de la paix. Cela montre combien il est difficile de maintenir la discipline parmi quelque 80 000 soldats et civils actuellement déployés dans 16 pays, sans compter une nouvelle mission prévue pour le Soudan. A cela s’ajoute le fait – souvent méconnu – que la formation, le commandement et la discipline des troupes incombent presque entièrement aux Etats membres qui fournissent les contingents. Ceci limite la possibilité qu’a l’ONU d’imposer des normes aux opérations de maintien de la paix et peut faire croire à tort que l’Organisation tolère les abus sexuels ou n’en tient aucun compte.

Alors que les enquêteurs analysent les méfaits présumés de membres de plusieurs missions de maintien de la paix et qu’il apparaît de plus en plus clairement que des abus ont été commis par des casques bleus en Haïti, au Burundi et au Libéria, M. Annan a rappelé au Conseil de sécurité en février que le succès de la lutte contre ces abus “ne devrait pas se juger par une diminution mais, au contraire, par une augmentation probable des accusations” à mesure que l’on découvrira de nouveaux cas. “Il ne faut négliger aucune piste.”

Lorsqu’il a été question pour la première fois d’abus sexuels commis par des casques bleus en République démocratique du Congo (RDC), au début de l’année dernière, le Département du maintien de la paix a demandé au Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l’ONU de procéder à une enquête. Le Bureau a mis au jour des abus consternants. Un ancien membre civil de la mission a été expulsé après la découverte par la police congolaise de vidéos et de photographies dans lesquelles il était entouré d’enfants et de jeunes femmes congolais. Il est maintenant en prison en France dans l’attente de son procès. D’autres allégations mettaient en cause des membres du personnel en uniforme de la mission des Nations Unies en République démocratique du Congo, stationnés dans la ville de Bunia à l’Est du pays, qui ont été accusés de faire appel à des prostituées et d’offrir à des réfugiées – dont certaines n’avaient que 12 ans – de l’argent et des vivres en échange de rapports sexuels.

Début mars, les enquêteurs du BSCI avaient déjà recommandé des mesures disciplinaires à l’encontre de neuf civils membres de la MONUC et de 65 soldats, dont 63 ont été expulsés de la mission et rapatriés. Ils ont noté toutefois que certaines affaires avaient été classées car les victimes ne pouvaient identifier leurs agresseurs ou bien s’y refusaient.


"La réputation des casques bleus a été gravement ternie par leur propre faute. Nous ne nous arrêterons pas tant que le casque bleu n'aura pas recouvré son éclat."
-- Mme Jane Holl Lute, Sous-Secrétaire générale aux opérations de maintien de la paix


Selon les enquêteurs, l’absence de programme visant à appliquer la politique de “tolérance zéro” adoptée depuis longtemps à l’ONU était “tout aussi troublante”. Cette politique a été renforcée ces dernières années face aux problèmes qui se sont posés et intégrée aux efforts visant à obtenir une représentation plus équilibrée des hommes et des femmes dans les opérations de maintien de la paix et une plus grande sensibilisation au sexisme. Elle interdit tout rapport sexuel avec des personnes âgées de moins de 18 ans ainsi que l’octroi d’argent, de biens ou de services contre des faveurs sexuelles ; la fréquentation de maisons closes ou d’autres lieux déclarés “hors d’accès” et toute conduite considérée comme relevant de la violence et de l’exploitation sexuelles ou sexuellement dégradante. Le BSCI a toutefois indiqué que la MONUC n’avait pas mis en place de dispositifs visant à faire respecter ces mesures – ce qui était, selon les enquêteurs, une “application zéro” de la tolérance zéro.

Adoption de mesures répressives
“Nous sommes devant un problème bien réel et non pas devant un problème de relations publiques qu’il nous faut présenter sous un jour favorable, a déclaré Jean-Marie Guéhenno, le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix après la parution du rapport le 8 janvier. Nous devons résolument et sans attendre chercher ensemble une solution à ce problème. Et nous devons empêcher que cela ne se reproduise à l’avenir.”

À cette fin, M. Annan et d’autres hauts responsables de l’ONU ont imposé à la MONUC et à d’autres membres du maintien de la paix de nouvelles restrictions ; ils ont intensifié la surveillance et les mesures d’application, ont modifié la formation, le commandement et les méthodes disciplinaires en accord avec les pays fournisseurs de contingents. Ces nouvelles mesures n’ont toutefois pas encore permis d’éliminer l’inconduite sexuelle. Certains critiques, dont des membres conservateurs du Congrès américain, ont alors exigé que l’ONU impose des sanctions plus lourdes aux casques bleus incriminés et aux gouvernements ne punissant pas les délinquants.

Toutefois, le Secrétariat de l’ONU n’a jamais été investi par les Etats-Unis et les autres grandes puissances membres de l’ONU d’une telle autorité. Bien que le règlement du personnel de l’ONU et les codes de conduite du personnel de maintien de la paix aient été régulièrement renforcés ces dernières années, c’est à chacun des pays fournisseurs de contingents qu’il incombe de donner effet à ces règles, en sanctionnant notamment les violations. Conformément aux accords régissant les liens entre l’ONU et les pays fournisseurs de contingents, les troupes de maintien de la paix sont déployées en tant que contingents nationaux et chaque contingent a ses propres commandants. L’ONU peut demander que les personnes soupçonnées d’actes répréhensibles soient rapatriées et que le pays qui a fourni le contingent prenne les mesures disciplinaires qui s’imposent et interdise aux suspects de participer à l’avenir à des missions. Mais l’Organisation ne peut engager de poursuites pénales contre les casques bleus ni les condamner en cas d’inconduite. C’est à chaque gouvernement de décider s’il y a lieu de punir ses ressortissants en cas d’inconduite lors de missions de l’ONU et, si tel est le cas, de la peine à infliger.

Consciente de ces difficultés, Mme Jane Holl Lute, Sous-Secrétaire générale aux opérations de maintien de la paix, a donné en mars un aperçu des diverses mesures déjà adoptées par le Secrétariat de l’ONU lors d’une séance d’information destinée aux membres du Congrès américain. “Séparément, ces mesures peuvent paraître insuffisantes, a admis Mme Lute. Mais ensemble, elles constituent un programme exhaustif qui reflète notre détermination.”

En ce qui concerne la MONUC, l’ONU a :

  • interdit les contacts non officiels et fraternisations du personnel de la mission avec la population locale
  • imposé aux militaires un couvre-feu, qui les empêche de quitter leur base durant leurs heures de liberté la nuit
  • interdit au personnel en uniforme de porter une tenue civile pour faciliter la surveillance et l’identification du personnel de l’ONU
  • accru sa coopération avec la police congolaise afin de réduire les contacts non officiels entre le personnel de l’ONU et les femmes du pays
  • renforcé la formation portant sur les codes de conduite de l’ONU et les règlements régissant le personnel en ce qui concerne la violence et l’exploitation sexuelles
  • désigné certains établissements commerciaux locaux, dont des maisons closes et certains bars, comme étant interdits d’accès au personnel de l’ONU
  • amélioré les équipements et les installations de loisir sur la base
  • amélioré les communications avec la population locale et les autorités civiles, et notamment créé une “ligne directe” confidentielle permettant de signaler des abus
  • mis en place un nouveau département au sein de la MONUC pour enquêter sur toute nouvelle allégation.

Le Secrétaire général a demandé que 100 policiers militaires de plus soient déployés pour aider à mettre en oeuvre les nouvelles restrictions imposées à la MONUC, qui dispose actuellement de quelque 18 000 soldats et civils, dont 175 policiers civils détachés dans des antennes éparpillées dans un pays grand comme l’Europe occidentale.

M. Annan a également promis de demander des comptes à toute personne, dans la chaîne hiérarchique, qui serait déclarée complice de ces abus. Six officiers supérieurs marocains ont été relevés de leurs fonctions et des changements de direction s’annoncent pour cette mission en difficulté. En début d’année, une équipe d’experts dirigée par la Sous-Secrétaire générale, Angela Kane, s’est rendue en RDC pour sept semaines pour enquêter sur les accusations qui subsistent et étudier les procédures de la MONUC en matière de discipline et de commandement.

Des réformes ont également lieu au Siège de l’ONU à New York. Une antenne permanente chargée d’enquêter sur la violence et l’exploitation sexuelles a été créée dans le bureau de M. Guéhenno et une équipe de travail interdépartementale chargée d’enquêter sur les abus sexuels et dirigée par la Sous-Secrétaire générale, Mme Lute, coordonne toutes les mesures prises et formule des recommandations sur la suite à donner. Des agents chargés de veiller au respect des règles adoptées par l’ONU contre l’inconduite sexuelle ont été dépêchés dans tous les pays où se trouvent des missions de maintien de la paix et les conseillers chargés de la question des droits de l'homme et de la parité entre les sexes reçoivent une formation plus solide.

Dialogue avec les pays fournisseurs
M. Annan a également engagé un dialogue avec les pays fournisseurs de contingents et chargé l’Ambassadeur de Jordanie auprès de l’Organisation des Nations Unies, le Prince Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, d’élaborer des propositions en vue d’une réforme générale de la discipline et de la formation. Dans un rapport détaillé rendu public le 24 mars, le Prince Zeid a recommandé, notamment, que l’Assemblée générale demande aux pays qui fournissent des contingents d’enquêter sur les accusations d’inconduite sexuelle formulées par les enquêteurs de l’ONU et de lui rendre compte de l’aboutissement de chaque affaire. Des poursuites disciplinaires devront être engagées dans le pays d’accueil autant que faire se peut, et chaque soldat de la paix devra répondre financièrement des abus qu’il a commis en versant des dédommagements aux victimes, y compris une pension alimentaire pour l’entretien d’un enfant.


Bien que le règlement et les codes de conduite du personnel de maintien de la paix aient été renforcés, c'est à chacun des pays fournisseurs de contingents qu'il incombe de donner effets à ces règles.

S’il est difficile de se mettre d’accord sur l’application du règlement du personnel de l’ONU, c’est en partie, a expliqué Mme Lute au Congrès américain, parce que certaines des actions qui sont interdites aux soldats de la paix, notamment la fréquentation de prostituées et les relations intimes avec des mineurs de moins de 18 ans, sont licites dans certaines régions du monde. Les lois et les moeurs de chacun des 103 pays qui fournissent des contingents étant très disparates et leurs systèmes nationaux de justice pénale et militaire ne disposant pas tous des mêmes moyens d’action, il est extrêmement difficile de se mettre d’accord sur un code de conduite applicable à tous.

Il est également difficile d’obtenir les preuves nécessaires pour engager des poursuites pénales. L’ONU est tenue de respecter les normes juridiques internationales de régularité des procédures, dont la présomption d’innocence. Or, les agressions sexuelles sont difficiles à prouver même dans les pays qui disposent d’une police et d’un système de justice pénale adéquats. Les enquêteurs de l’ONU peuvent avoir d’énormes difficultés à constituer des dossiers dans les zones de conflit car ils sont souvent face à des victimes et des témoins déjà traumatisés par la violence et qui craignent d’avoir à subir les conséquences de leur collaboration avec des enquêteurs.

Méfiance vis-à-vis des dénonciations
Les difficultés sont aussi d’ordre politique. Les enquêteurs du Bureau des services de contrôle interne ont signalé des cas d’inconduite parmi les membres des contingents d’un grand nombre de pays. Toutefois, les représentants de certains des pays qui fournissent le plus de contingents, et qui sont tous des pays en développement, ont dit leur inquiétude de voir leur pays montré du doigt et critiqué en raison des méfaits d’une poignée d’individus. Ces inquiétudes n’ont fait que s’accentuer lorsque certains ont critiqué la manière dont l’ONU a géré le scandale et exigé que l’Organisation nomme expressément les pays d’origine des contrevenants. D’autres suggèrent que l’on interdise complètement aux pays qui n’engagent pas de poursuites contre les accusés de participer aux missions de maintien de la paix.

M. Annan et d’autres hauts fonctionnaires ont indiqué que les discussions en cours avec les pays qui fournissent des contingents sont sur la bonne voie. Selon eux, le fait que le Maroc ait annoncé que six de ses soldats qui servaient en RDC ont fait l’objet d’inculpations pénales traduit la volonté des Etats d’obliger ceux qui ont commis des abus à rendre compte de leurs actes. La France et l’Afrique du Sud ont également engagé des poursuites pénales contre le personnel de la MONUC soupçonné d’inconduite.

Mais avec près de 80 000 militaires et civils actuellement sur le terrain et une nouvelle mission importante autorisée au Soudan, l’ONU a déjà du mal à trouver suffisamment de soldats pour toutes ses missions. Certains hauts fonctionnaires de l’ONU craignent que la publicité négative ou les initiatives pouvant donner l’impression de porter atteinte à la question délicate de la souveraineté nationale ne persuadent certains des pays qui fournissent le plus de contingents de retirer leurs troupes ou de réduire leur participation au maintien de la paix.

Le besoin de casques bleus ayant atteint un niveau sans précédent et un grand nombre de pays du Nord étant plus réticents qu’auparavant à fournir des troupes, on conçoit sans peine que les responsables du maintien de la paix s’inquiètent de la réduction du nombre d’Etats participants. “Nous pourrions remporter un succès rapide en termes de relations publiques en dénonçant les pays concernés, a reconnu Mme Lute. Mais nous sacrifierions l’engagement à long terme que nous avons pris avec les Etats membres afin de nous assurer leur coopération et leur engagement” en vue de réformes.

‘Il faut que jeunesse se passe’
L’ONU s’efforce également de remédier à certains aspects de la culture militaire qui peuvent expliquer en partie l’inconduite sexuelle des soldats de la paix, en particulier la tolérance implicite des abus dont font preuve les commandants et les hauts fonctionnaires civils sur le terrain. On forme par nécessité les soldats à être agressifs, à dominer et à prendre des risques. Il est entendu depuis longtemps que ce sont là des qualités sur le champ de bataille mais qui peuvent avoir des répercussions sur les relations entre soldats et population civile locale, en particulier lorsque ces jeunes gens ne sont plus soumis aux interdits de la culture et des lois de leur pays. Un grand nombre de commandants militaires ont également tendance à fermer les yeux sur certains contacts sexuels entre soldats et civils, par exemple sur la prostitution. Les liaisons de ce type sont souvent considérées comme inévitables.

Toutefois, l’ONU s’en prend maintenant ouvertement à ces attitudes laxistes et s’efforce d’instaurer un climat de discipline rigoureuse dans toutes les missions de maintien de la paix, en accentuant le devoir de protection que les casques bleus ont envers les civils. “La réputation des casques bleus a été gravement ternie par leur propre faute. Nous ne nous arrêterons pas tant que le casque bleu n’aura pas recouvré son éclat”, déclare Mme Lute.

Déjà, presque toutes les armées du monde forment leurs membres aux codes de conduite militaire et au respect des droits des civils dans les conflits. L’ONU exige aussi des pays qui fournissent des contingents qu’ils dispensent une formation supplémentaire portant sur les règlements et les politiques de l’ONU et notamment sur la tolérance zéro ainsi que sur leurs autres responsabilités en tant que représentants de la communauté internationale. Les programmes de formation de l’ONU sur les droits et les vulnérabilités des femmes et des filles en temps de conflit ont été renforcés ces dernières années à la suite des abus commis, dans le cadre des efforts de l’ONU visant à obtenir une représentation plus équilibrée des hommes et des femmes et à sensibiliser à ces questions dans toutes les opérations de maintien de la paix.

Les récentes révélations montrent toutefois que les programmes de formation et les codes de conduite n’ont qu’un effet restreint si les chefs civils et militaires ne veillent pas à leur strict respect. En 2002, des membres du personnel de l’ONU et des organisations humanitaires des camps administrés par l’ONU au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée ont été accusés d’avoir forcé des réfugiées et de jeunes enfants à échanger des faveurs sexuelles contre des vivres, des médicaments et d’autres produits qui leur faisaient cruellement défaut. Le Bureau des services de contrôle interne a également enquêté sur ces accusations – remarquablement similaires à celles qui ont été portées en RDC – mais a classé l’affaire faute de preuves. Certaines organisations humanitaires et de défense des droits de l'homme ont reproché à l’ONU de minimiser ces allégations.

Les allégations faisant état de pratiques répréhensibles de membres du personnel de maintien de la paix de l’ONU remontent au moins à 1992–1993, lors du déploiement au Cambodge. Ces allégations, qui portaient surtout sur la fréquentation de prostituées, ont été rejetées à l’époque par le chef de la mission qui s’est contenté d’observer qu’il fallait bien que jeunesse se passe. Certains membres de la police civile et militaire de la mission de l’ONU en ex-Yougoslavie ont aussi été accusés d’avoir participé à un trafic d'êtres humains et à des réseaux de prostitution alimentés par la présence dans la région d’un grand nombre de soldats de la paix de l’ONU et de l’OTAN. Bien qu’un certain nombre de personnes aient été relevées de leurs fonctions, l’enquête officielle qui a été menée a, encore une fois, conclu à l’insuffisance de preuves.

Contrairement à ses habitudes antérieures, l’ONU a pris des mesures énergiques et publiques pour faire face au scandale actuel et éviter qu’il ne se reproduise. Mais même ces mesures, a affirmé le représentant de l’ONU en RDC, ont été prises tardivement. Prenant la parole fin janvier à la Radio de l’ONU, l’Ambassadeur Atoki Ileka a déclaré que le gouvernement avait pour la première fois en 2000 fait part de ses inquiétudes sur les actes répréhensibles de membres du personnel de l’ONU mais que “rien n’avait été fait. On en est maintenant arrivé à un scandale et parce que le monde entier est au courant ... l’ONU est en train de prendre des mesures pour régler le problème”.

Cependant, l’ambassadeur a également rendu hommage à la MONUC pour son rôle dans le processus de paix en RDC et noté que les casques bleus ont permis de mettre fin à une guerre au cours de laquelle des dizaines de milliers de femmes et de fillettes congolaises ont été brutalement violées, agressées et réduites à l’esclavage par diverses forces militaires congolaises. Ce qui est tragique, a-t-il poursuivi, c’est en partie le fait “qu’un grand nombre de Congolais n’ont plus confiance en l’ONU et il nous faut leur redonner confiance . . . L’ONU a un rôle capital à jouer en RDC et nous devons régler ce problème au plus vite”.

lundi 18 avril 2011

"Le déshonneur des casques bleus"

J'ai trouvé une vidéo très intéressante et en lien avec la présentation faite par Mélanie Coutu sur les violences sexuelles mais plus spécifiquement celles commises par des casques bleus en République démocratique du Congo sur des femmes mais aussi sur des jeunes filles. C'est un documentaire réalisé dans le cadre des Grands reportages de Radio-Canada, par la journaliste Raymonde Provencher.
La vidéo sera supprimée du site le 29 avril 2011, faites vite !

La Lybie et les conséquences de l'inefficacité américaine sur la région

Petit article du Daily Beast trouvé sur le site Real Clear World et disponible au http://www.thedailybeast.com/blogs-and-stories/2011-04-17/-how-americas-failure-to-knock-out-libyas-gaddafi-emboldens-iran-north-korea/#

L'auteur, Leslie H. Gelb, explique comment l'incapacité des États-Unis de mettre un terme au régime de Kadhafi, malgré les multiples attaques de l'OTAN (qui ont atteintes leur cible, mais qui n'ont créé aucun Knockout pour reprendre ses termes), va coûter cher à la crédibilité des États-Unis dans cette région et à leur soi-disant puissance. Surtout que ce conflit réitère le sentiment du peuple américain que cette guerre, avec celle en Iraq et en Afghanistan, n’ont pas lieu d’être, que le gouvernement américain devrait se retirer et plutôt se concentrer sur ses problèmes en premier et non ceux des autres.

Ainsi, le message sous-entendu par les régions avoisinantes, concernant l'inefficacité américaine d'arrêter définitivement la maigre armée de Kadhafi, est pourquoi s'inquiéter d'une intervention américaine désormais? Ils ont attaqué fortement le régime de Kadhafi, le terrain était propice pour illustrer toute la puissance occidentale et leur puissance aérienne (ce n'est pas une guerre de style guérilla comme en Afghanistan qui se produit en Lybie; les attaques aériennes sont possibles et utilisées en Lybie, une spécialité occidentale!). De la sorte, le message qu'en tire certaines régions est que "the West can't do decisive harm to them".

Surtout que l'OTAN est liée par le mandat donné par l'ONU, qui consiste à protéger les civils. Il n'est pas question de renverser un régime par la force, mais l'un (protection des civils) est-il possible sans l'autre?

Est-ce que certaines régions vont être opportunistes et vont profités de l'apparente "faiblesse" de l'Ouest pour réaffirmer leur régime autoritaire? Une montée de la violence se produira-t-elle? Et si c'est le cas, que peut faire la communauté internationale, déjà aux prises avec de multiples conflits qui perdurent sans cesse? Surtout que, concernant les États-Unis, s’impliquer dans un autre conflit au Moyen-Orient serait extrêmement mal vu au niveau interne…

vendredi 15 avril 2011

Le droit d'ingérence en évolution?

Seize pays européens et du Moyen-Orient, en plus des Nations Unies, de la Ligue arabe et de l’Union africaine s’étaient réunis, il y a quelques jours, au Qatar, pour discuter de la suite à donner à l’intervention internationale en Lybie. La déclaration finale de la réunion affirmait, tel que le rapporte l’agence Reuters : « Gadhafi and his regime has lost all legitimacy and he must leave power allowing the Lybian people to determine their future. » La déclaration affirmait aussi que le Conseil national des rebelles est l’interlocuteur légitime et que du support matériel leur serait accordé. En plus, le Premier ministre qatari a spécifié que le matériel pourrait inclure de l’équipement de défense.[1]

Le droit d’ingérence développé pour répondre aux urgences humanitaires est-il en train de s’étendre pour protéger aussi la volonté démocratique des peuples ?



[1] Croft, Adrian et Maria Golovnina (Reuters). « Gadhafi must go, allies agree », The Gazette, 14 avril 2011, p. A19.

mardi 12 avril 2011

Succès du Secrétaire général en Côte d’Ivoire ?

Les forces républicaines de Ouattara ont entrepris de conquérir le pouvoir que le président sortant, Laurent Gbagbo, refusait de leur remettre. La guerre civile en Côte d’Ivoire était en marche. Le Secrétaire général des Nations Unies, devant le péril menaçant les populations civiles, écrit au Président français pour lui demander que les forces françaises de l’opération Licorne, basée à Abidjan, fournissent à l’ONUCI le soutien nécessaire à la réalisation de ses opérations.[1] Alors, la France accepte de soutenir les opérations de l’ONUCI dont la résolution 1975 : « autorise l’emploi de tous les moyens nécessaires pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile en Cote d’Ivoire »[2].

L’agence Reuters rapporte que : « French and UN helicopters attacked heavy weapons of troops loyal to Ivory Coast incumbent president Laurent Gbagbo on Sunday. »[3] En accord avec la mission de l’ONUCI, le porte-parole de l'ONU déclare que : « We are pursuing our operation to neutralize Gbagbo’s heavy weapons.»[4] Au terme de l’opération militaire conjointe de la France et de l’ONUCI, les forces de l’armée républicaine ont pénétré le palais présidentiel et procédé à l’arrestation de Laurent Gbagbo et de ses proches.

Le ministre français des Affaires extérieures, Alain Jupé, a déclaré aux médias : « On ne peut se le cacher, l’objectif politique est le départ de Laurent Gbagbo »[5]. Le gouvernement français a interprété la résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations Unies au sens large ; neutraliser les armes lourdes du camp Gbagbo équivalait à la mise hors d’état de nuire de Laurent Gbagbo.

Toutefois, certains, en France et en Afrique, accusent la France d’avoir outrepassé la résolution 1975 du Conseil de sécurité et qualifient l’action française de néocolonialisme. En réponse à ces déclarations, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Jupé, affirme que : « la France intervient à la demande des Nations Unies pour faire respecter la démocratie ». La ligne officielle de la France est participation sans ingérence.[6]

La crise gouvernementale en Côte d’Ivoire est réglée, la réconciliation des différentes factions reste à faire.

Il est intéressant de noter que l’initiative spontanée du Secrétaire général des Nations Unies a été à l’origine de la résolution de ce conflit. Se pose la question à savoir si cette initiative fructueuse du Secrétaire général va faire école dans le futur ?



[1] TV5, TV5 le jounal, 11 avril 2011.

[2] Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1975, 30 mars 2011.

[3] Aboa, Ange et Loucoumane Coulibaly, Reuter, « UN, France attack Gbagbo residence

Ivory Coast; Ouattara requests international aid », The Gazette, 11 avril 2011, p. A11.

[4] Aboa, Ange et Loucoumane Coulibaly, Reuter, « UN, France attack Gbagbo residence Ivory Coast; Ouattara requests international aid », The Gazette, 11 avril 2011, p. A11.

[5] TV5, TV5 le jounal, 11 avril 2011.

[6] TV5, TV5 le jounal, 11 avril 2011.

L'Égypte après Moubarak: un retour à l'autoritarisme?

Lundi dernier, un tribunal militaire a condamné pour trois ans d'emprisonnement un blogueur ayant critiqué publiquement l'armée nationale en Égypte. De l'avis de plusieurs experts, cela instaure un dangereux précédent dans ce qui devait être une prometteuse ère post-Moubarak. Il s'agit sans doute de la plus grave violation des droits humains depuis la chute de l'ex-président égyptien.


En effet, il est très inquiétant et préoccupant d'assister à un tel événement à peine quelques semaines après la chute du dictateur déchu. Alors que tous les espoirs étaient permis, voilà que l'armée viole non seulement le droit de toute personne à être jugée devant un tribunal compétent, impartial et indépendant, mais aussi et surtout, elle va délibérément à l'encontre de la liberté d'expression, cette même liberté (entre autres) pour laquelle tant de gens se sont battus en sortant et en manifestant dans les rues.


Qu'en est-il de tous les principes défendus par la révolution égyptienne? Qu'en est-il de toutes ces morts et de tous les sacrifices vécus par des milliers de gens? Assistons-nous à un retour à l'autoritarisme où seul le visage l'incarnant aurait été remplacé? Il est probablement encore tôt pour en tirer des conclusions, mais il reste impératif de surveiller le tout et de demeurer critique.


Source: Liam Stack. "Egypt Sentences Blogger to 3 Years", The New York Times, 11 avril 2011, en ligne: http://www.nytimes.com/2011/04/12/world/middleeast/12egypt.html?_r=1&ref=world (page consultée le 12 avril 2011).